N’allez pas au café

Erik Satie à Montmartre

De nos jours, Raoul Ponchon, lui, sait ce que c’est que d’aller au café. Je l’y ai vu bien souvent ; par contre, il ne me voyait pas : j’étais trop bien caché.

Il m’est impossible de vous citer ici tous ceux que je connais et qui vont au café — vous vous en doutez. Je ne crois pas que d’aller au café, ou à tout autre endroit de ce genre, soit mauvais en soi ; j’avoue y avoir beaucoup travaillé ; et je crois que les illustres personnages qui y furent avant moi n’y ont pas perdu leur temps. Il s’y fait un échange d’idées qui ne peut être que profitable — à la condition de ne pas se faire remarquer.

Cependant, pour faire montre de morale et pour me donner un air respectable, je dis : Jeunes gens, n’allez pas au café : écoutez la voix grave d’un homme qui y a beaucoup trop été, à son avis — mais qui ne le regrette pas, le monstre !

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Evidemment, il m’arrive d’aller à la Brasserie ; toutefois, je me cache – non par une blâmable hypocrisie, mais conseillé par une prudente réserve — et, surtout, pour que l’on ne me voie pas. J’aurais honte d’être vu ! car, comme me le disait Alphonse Allais : — « cela peut vous faire rater un mariage ».

Dans le temps, j’ai été aussi un peu au « Chat Noir » — ainsi que Maurice Donnay, du reste ; et j’ai beaucoup fréquenté « l’Auberge du Clou » — mais en cachette, bien entendu, et je ne m’y rendais qu’entre mes repas — repas que je prenais dans une autre taverne, toute proche.

En somme, je ne suis pas un homme de Café : je préfère la Brasserie. Oui.

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Autrefois, les Cafés étaient très différents des nôtres : c’étaient plutôt des cabarets ; et les consommations n’avaient aucun rapport avec celles qui nous sont offertes aujourd’hui dans les bars, les estaminets, les « tea-rooms », ou les débits que nous rencontrons lors de nos promenades à travers la ville. Pourtant on y buvait « sec », très « sec » ; et un de mes grands-oncles — lequel fut longtemps lieutenant de Pertuisaniers — raconte dans ses «  Vieux souvenirs » qu’il vida souvent « moult pots » avec Rabelais, à la « Pomme de Pin » le célèbre cabaret sis au coin des rues Copeau et de la Contrescarpe-Saint-Marcel, hors la porte Bordet (la rue Copeau est dénommée rue Lacépède depuis 1853).

Erik Satie

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