Que de bonheurs reçus en cette année de centenaire de la mort de notre Homérik compositeur. Je vous propose, sans évidemment être exhaustif, des joyaux dégustés avec gourmandise.
Tout d’abord, parlons du grand évènement tant attendu, la parution du livre posthume d’Ornella Volta « Erik Satie en notes et en mots » aux éditions les presses du réel. Comme me disait un de ses amis, André, elle a passé les quinze dernières années de sa vie à réorganiser une nouvelle édition des écrits d’Erik Satie. Grace à son fils Matteo Celli Volta, nous avons le bonheur de pouvoir enfin lire ce travail qui était suffisamment avancé. Inutile de vous dire que le résultat est comme d’habitude magnifique et exceptionnel. Personne ne peut ignorer que si Satie est si connu, c’est grâce à Ornella Volta qui l’a accompagné et fait connaitre avec maestria pendant 50 ans de sa vie.
Voici donc une idée de beau et indispensable cadeau (comme l’est Satie) à faire pour les fêtes de fin d’année !
Une autre très belle biographie de Satie est sortie aux éditions folio biographies « Erik Satie » par Christian Wasselin. Auteur prolifique, il a été responsable de la direction de la musique de Radio France et collabore à Opéra Magazine, à Scènes Magazine et au site Webthéatre. Fin lettré, il nous ouvre, par sa subtile analyse des très belles portes transversales. Encore une belle idée de cadeau…
Mais par contre un autre chef d’œuvre apparait malheureusement inaccessible. Je veux parler du film que j’ai eu la chance et le privilège de visionner. Il s’agit de celui de Bastien Loukia « Le Mystère Satie ».
J’attendais avec impatience la sortie de ce film prévu à la date du 100 -ème anniversaire du décès en me rappelant la citation de Cocteau : « La plus petite œuvre de Satie est petite comme un trou de serrure. Tout change si on approche son œil ».
Alors dès le 1 er juillet, j’espérais jeter un coup d’œil dans le trou de la serrure du « Mystère de Satie » pour découvrir de nouvelles clefs qui m’auraient tapées dans l’œil mais je n’ai rien vu. Je n’avais pas suffisamment cherché ou plutôt j’avais agi les yeux fermés.
Alors loin des yeux mais pas loin du cœur, je n’ai pas eu froid aux yeux et continué mes recherches. J’ai envoyé à mon ami André, qui est incollable sur Satie, un tweet à la Schubert. J’ai alors appris que la diffusion était prévue uniquement par le biais du cinéma, le partenariat avec l’Ina empêchant une large diffusion et la fabrication d’un DVD. En effet Bastien Loukia a, pour illustrer son propos, ajouté des vidéos de témoins directes appartenant à l’INA.
Une fois déniché le fim dans une salle de cinéma, je l’ai visionné avec délectation et émoi. J’étais sûr qu’en faisant Satie, Bastien Loukia avait été, comme d’habitude, plus que Satiesfaisant !
Restant silencieux, j’ai alors écouté le débat organisé à la fin de la séance de ce film. Des conversations ont fusé dans la salle. J’essaye de vous retranscrire ce que j’ai pu entendre :
« Génial, le premier film qui fait le tour de Satie ! C’est à la fois factuel et très sensible. Tout est remis dans son contexte, c’est un super travail, on trouve l’explication de tous les mouvements musicaux, littéraires, artistiques, les influences. Ce film donne la parole a des pianistes, critiques, des artistes de différents médiums, des témoins contemporains, c’est une synthèse remarquable ! »
D’autres ont renchéri « Comme c’est triste de voir que ce film n’est pas largement diffusé. J’ai dû faire de nombreux kilomètres pour le voir ici et je ne regrette pas! C’est bien décevant que des créateurs qui fournissent un incroyable travail ne soient pas mis en lumière alors que l’on est abreuvé de soupe à longueur de journée ! Pourquoi ce film ne peut pas être largement diffusé ? »
Une belle femme qui devait être professeur dans un Lycée (et qu’on aurait aimé avoir comme prof, lors de notre scolarité) a précisé : « Mon dernier thème de l’année en Humanités, en Terminale est « création, continuité et rupture ». J’aimerai présenter cela à mes élèves. Ce film explique très bien que Satie a une inspiration originale. Il veut toucher les gens même si sa création est un peu contrainte pas ces quelques insuffisances musicales. Il s’emploie à faire autre chose que ce qu’a composé Debussy, il a pris une autre direction ».
Alors je ne vais pas faire dans la dentelle en vous disant que toutes ces règles de propriété de droit à l’image de témoins disparus donnent du fil à retordre aux créateurs qui sont battus, à plate couture, par des règles protectrices. Mais ce sont les auteurs et les créateurs qu’il faut défendre ! C’est tailleur pour cette raison que je félicite Bastien Loukia de ne pas s’être défilé ! Il convient, en effet, au contraire, de se battre à haute couture comme il l’a fait, pour tirer son épingle du jeu en décrochant la médaille Dior!
Son œuvre est une véritable dégustation rabelaisienne de la substantifique moelle d’Erik Satie. À la place du « régime choucroute » habituellement présenté, il nous a servi un caviar Satie : sa vie est proposée comme un bon vin décanté, sans remuer les anecdotes surannées du fond de la bouteille.
Quel travail ! Quelle somme d’énergie déployée ! J’ai d’ailleurs regretté que ma chienne (Satie aimait tellement les chiens) n’ait pas été à mes côtés dans cette salle de cinéma. Je suis sûr qu’elle aurait été admirative de son labeur, eu égard à cette moelle suce-dite, et m’aurait resservi sa devise fétiche : « C’est en bossant qu’on devient beauceron ».
J’ai particulièrement apprécié la subtilité du montage de ce film et les multiples références transversales. Bastien Loukia n’est pas resté au niveau de la surface des facéties, mais il permet de pénétrer les pensées profondes de Satie en mettant en lumière son côté novateur et son influence durable.
J’ai été ravi de retrouver dans son travail le visage de Romaric Gergorin, dont j’avais apprécié la biographie, les archives du Groupe des Six, et une archive de Francis Poulenc à la fin du film.
Pour moi, le « Mystère Satie », ce sont ses multiples facettes insaisissables qui restent encore à découvrir. N’est-ce pas Ornella Volta, elle-même, qui disait que plus elle réfléchissait à Satie, plus elle était étonnée d’en découvrir davantage sur son univers au-delà du miroir : « C’est un peu comme si on se trouvait devant la toile que le peintre retourne de haut en bas pour mieux juger de l’équilibre des formes et des couleurs. On découvre ce que, à vrai dire nous soupçonnions déjà depuis longtemps, à savoir que c’est bien ce monde inversé qui est orienté dans le bons sens : car le bon sens, comme chacun sait n’a rien à voir avec le sens commun… »
Voilà, je termine ce remue-méninges de fin d’année. Je ne devrais pas trop appliquer la formule dérivée du « je pense, donc, j’essuie », le fameux « Cogito ergo sopalum », car souvent dans cette logique, je perds mon lecteur qui pense, à juste titre, que je suis au bout du rouleau.