André Breton se souvient de Satie

Satie a bien voulu dire que le piano : voilà qui me met à l’aise, moi brouillé de naissance avec la musique instrumentale. Je regrette d’autant plus d’avoir compris trop tard, après sa mort, l’être de haute exception qu’il fut et qu’un rideau d’épines – sa malice, ses tics étudiés – me voilait.

Tout ce que rapportent de lui Robert Caby et Pierre-Daniel Templier est pour me le faire aimer sans mesure. Le passage du XIXe au XXe siècle n’a déterminé aucune évolution d’esprit aussi captivante que celle de Satie. Tendue entre ces deux points extrêmes, les mystiques et Platon, durant trente ans la fatalité de l’esprit moderne a été de faire vibrer cette corde à l’unisson de celles de son compatriote Alphonse Allais et, plus encore, d’Alfred Jarry.

Nulle plus haute école de liberté à l’égard de toutes les conventions, nul sourire plus espiègle et, en fin de compte, si poignant par dessus le gouffre intérieur, de l’espèce le plus noir, duquel s’échappe la nuée de ces dessins et inscriptions calligraphiées en pleine solitude – « Tout en fonte », à la fois si drôles et si inquiétants – qui attendent depuis longtemps un inventaire complet et une analyse rigoureuse.

Transcription d’un manuscrit autographe d’André Breton de 1955

Source : Archives Erik Satie de l’IMEC.

Le site de Fabrice Pascaud consacré à André Breton : Arcane 17