A table

Auberge du Clou

Personnellement, j’ai toujours eu pour l’Art Culinaire une vive admiration, admiration nullement mitigée. Les « plaisirs de la table » sont loin de me déplaire, au contraire ; et j’ai pour la « table » une sorte de respect, plus, même.

Qu’elle soit ronde ou carrée, elle m’apparaît « cultuelle » et m’impressionne comme un grand autel (même « Terminus » ou « Continental », si j’ose dire). Oui.

Pour moi, manger est un devoir, un devoir agréable de vacances, bien entendu ; et je tiens à accomplir ce devoir avec une exactitude et une attention soutenues.

Doué d’un bon appétit, je mange pour moi, mais sans égoïsme, sans bestialité. Autrement dit, je me « tiens mieux à table qu’à cheval » bien que je sois assez bon cavalier.

Mais ceci est une autre histoire, comme le remarque si justement M. Kipling.

Dans les repas, mon rôle a son importance : je suis convive, comme, au théâtre, d’autres sont spectateurs. Oui… Le spectateur a un rôle défini : il écoute et voit ; le convive, lui, mange et boit. En somme c’est la même chose — malgré toute la dissemblance qui existe entre ces deux rôles. Oui.

Les plats où se dépensent une virtuosité calculée, une science avisée ne sont pas ceux qui retiennent le plus mon attention «  dégustatrice ». En Art, j’aime la simplicité ; de même, en cuisine. J’applaudis plus à un gigot bien à point qu’au subtil ouvrage d’une viande dissimulée sous les « fards savants d’un maître de la sauce »  si vous voulez bien me permettre cette image.

Mais ceci est une autre histoire.

Parmi mes souvenirs de convive, je ne puis oublier les gentils déjeuners que je fis, pendant plusieurs années, chez mon vieil ami Debussy, alors qu’il habitait rue Cardinet. J’ai toujours à l’esprit le souvenir de ces charmants repas.

Les œufs et la côtelette de mouton faisaient les frais de ces réunions amicales. Mais quels œufs et quelles côtelettes !… Je m’en lèche encore les joues, intérieurement, vous le devinez. Debussy qui les préparait, ces œufs, ces côtelettes avait le secret (le secret le plus absolu) de ces préparations. Le tout s’arrosait gracieusement d’un délicieux bordeaux blanc dont les effets étaient touchants et disposaient convenablement aux joies de l’amitié et à celles de vivre loin des « Doubles Veaux », des « Momifiés » et autres « Vieilles Noix » ces fléaux de l’Humanité et du « pauvre monde ».

Mais ceci est encore une autre histoire.

Erik Satie

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